NÉ EN 1963, JEAN-DOMINIQUE « EL PADRE »
a commencé la photographie dans les années 90. Son parcours l’a amené à photographier de nombreuses œuvres d’art comme expression de la pensée humaine ; puis à proposer, à partir des clichés, des conférences ayant pour thème « le cri de l’homme à travers l’art ». Après un regard naturaliste qui procède de l’émerveillement face à la nature, son travail photographique se tourne vers les activités des hommes et leur itinéraire. Il y voit une démarche qui ouvre à la profondeur de ce qui pourrait être fugitif et dont la Présence résonne.
"El PADRE" est Peintre Officiel de l'Armée (section photographie) ainsi que sociétaire à la Société des Artistes Français (section photographie) .
Quelques convictions:
Photographier, c’est permettre l’émerveillement qui à son tour rendra attentif et émerveillé.
Tout ce qui vient à la lumière devient lumière.
Des photographies qui laissent des silences entre les mots.
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Q. : Selon vous, quelle place occupe la photographie dans l’art ?
R. : Elle vise à peindre avec la lumière en ayant le regard pour pinceau ! Tâcher de répondre à cette question sur l’art, c’est nécessairement aborder le lien de l’art et celle de la beauté, dont nous expérimentons qu’elle n’est pas intellectuelle mais qu’elle soulève l’homme tout entier. S’ouvrir à la beauté touche aux racines mêmes de notre être en humanisant jusqu’aux zones inconscientes. Ainsi s’apprivoisent nos énergies aussi diverses qu’éparses, en leur communiquant un rythme silencieux qui leur permettra d’entendre l’appel intérieur où la libération s’accomplit !
Q. : La beauté aurait-elle une mission ?
R. : Je ne suis pas certain que l’on puisse parler de mission explicite de la beauté. Par contre, la résonance qui se vit en nous en est le fruit. Dans la « quotidienneté journalière », il ne s’agit pas uniquement de gagner son pain, mais de gagner sa vie, de ménager des moments privilégiés où chacun puisse avoir accès à son être profond et découvrir sa grandeur. La croissance de l’homme ne s’effectue pas de bas en haut ni même de gauche à droite, ou de droite à gauche, mais de l’extérieur vers l’intérieur.
L’expression de saint Augustin est à ce titre exemplaire lorsqu’il s’adresse à Dieu – nouvellement découvert –en lui disant : « Bien tard, je t’ai aimée, ô Beauté si ancienne et si nouvelle, bien tard je t’ai aimée ! Et voici que tu étais au-dedans, et moi au-dehors… Tu étais avec moi et je n’étais pas avec toi… Tu as appelé, tu as crié et tu as brisé ma surdité » (Confessions, X, 27-38).
Q. : Y a-t-il une spécificité du regard photographique ?
R. : Le regard du photographe doit être libre et, je l’espère, inspiré. Rappelons-nous ce qu’en dit Henri Cartier-Bresson : « photographier « Photographier, c’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. » En fait tout est une question de regard, et pas uniquement de vision. Et quand je dis « regard », je pense à un « autre regard », un regard qui nécessairement modèlera la façon dont on vit en acceptant d’être vulnérable et de se laisser surprendre. Bref, un regard qui demeure dans l’émerveillement.
Je crois que l’émerveillement est une façon de consentir à la grâce. Une façon de se détacher de soi pour permettre l’avènement de l’autre et – pourquoi pas ? – du tout Autre, de la merveille du jour qui unifie par la médiation du regard ce qui, sans la lumière, ne serait que disparité et incohérence… Ce qui éclaire mon parcours : Padre par vocation, photographe par émerveillement.
Q. : Comment abordez-vous votre travail photographique ?
R. : La première démarche est celle de l’abandon. Abandonner son regard sur la beauté, pour débusquer, aussi bien dans la grandeur des cieux que dans la modestie éclatante d’un pétale, l’expression d’une même symphonie, unique partition chantée en diverses tessitures, nuances manifestées dans la matière, d’un même et unique Verbe. Le sujet central est alors l’invisible présence vers laquelle tout converge. L’image photographique peut ainsi être conçue, et ce qui me fait « réagir » devient une sorte de hors-champ tout à la fois subtil et criant. Quelle profondeur à la surface des choses !
Q. : Pourriez-vous nous parler des différents types de photographies que vous réalisez ?
R. La macrophotographie fait entrer mon regard dans l’immensité du monde, dans l’infiniment petit, c’est comme s’il s’agissait de quitter le bonheur d’occasion pour, je l’espère, autant d’occasions de bonheur, espaces aussi inconnus que surprenants dans l’infiniment grand que nous révèle l’infiniment petit, mais peut-être aussi, l’infiniment profond ! Quant à la thématique de la goutte d’eau, elle renvoie à quelque chose de premier, la rosée extérieure mettant en résonance nos eaux intérieures… laissant sourdre un itinéraire intérieur qui puisse devenir expérience. Il y a, au cœur de cette démarche, la thématique du jardin qui nous renvoie toujours à nous-mêmes dans l’attente des accomplissements. Pour que la Terre redevienne un jardin, l’homme doit recouvrer sa vocation de jardinier capable d’accompagner la vie, dans l’action de grâce et le respect.
Encore faut-il en amont qu’il ait accepté de descendre dans sa vie intérieure, c’est-à-dire à l’intérieur de sa vie. Je veux parler de son jardin intérieur de l’appréhension des espaces et des limites, de l’approche, sur la pointe de l’âme, des plages encore inexplorées. Précieux mystère qui nous révèle notre propre vulnérabilité, tant est vulnérable l’alliance entre les semences que nous portons et le Semeur qui les y a déposées. Le pèlerinage proposé dans le monde végétal, où les détails et les variétés sont comme autant de lieux pour accueillir la grâce, peut être vécu comme un itinéraire personnel. Oui, seul le regard émerveillé est capable de redresser l’homme en ouvrant son cœur à la Source dont tout procède.
Ces vers de Rimbaud dans « Sensation » viennent souvent à ma mémoire : « Je ne parlerai pas, je ne penserai rien, Mais l’amour infini me montera dans l’âme. »
La photographie animalière, elle, est la continuité de cette démarche « franciscaine » où, dans l’ensemble de la création, le monde animal s’ajoute à la beauté du jardin : « Et vous tous, fauves et troupeaux, bénissez le Seigneur ! À Lui, haute gloire, louanges éternelles ! » (cantique de Daniel) ; « Que tout être vivant chante louange au Seigneur ! », (psaume 150). Cet hymne à l’univers célèbre les rencontres entre l’homme et la nature, la vie dans sa diversité et son abondance.
Le portrait animalier exprime par sa simplicité et par la force du noir et blanc – évitant la distraction – la singularité de chaque rencontre. Une série de photographies dénommée « Itinérance » se veut être une résonance sur la thématique de la marche des hommes et des bêtes. Itinéraire et transhumance… que nous avons, tôt ou tard, à vivre intérieurement, nécessité d’avancer au pas lent.
Q. : Vous présentez aussi des photographies de tauromachie. N’y a-t-il pas là un décalage?
R. J’ai en effet constitué une série « Combats et blessures ». Il y a dans le dialogue de l’ombre et de la lumière comme une étreinte qui est toujours sacrée. Dialectique des couleurs, certes, mais aussi panel des nuances de gris qui donnent à l’expression de la vie dans ce qu’elle a de difficile, profondeur et texture. Ces photographies taurines manifestent, sous la forme d’un combat très réglé bien qu’inégal, les combats de la vie profonde : combats spirituels, ceux des forces antagonistes et secrètes de l’être humain… comme pour nous rappeler qu’il n’y a pas de victoire sans combat, que le combat est toujours rude et âpre, que la bataille se fait rarement de façon droite et claire, mais plus souvent en avancées, reculades et travers, dans la lenteur ou les accélérations. Finalement, il s’agit bien de parier sur une victoire !
La série des blessures est celle des stigmates que les jours et les situations ont imprégnés dans la vie de l’homme. Je me suis efforcé de les révéler à travers les éléments les plus divers et en ai présenté une sélection dans mon exposition « Stigmates 14-18, l’âme des champs de bataille ». Car quand ils ne sont ni niés, ni idolâtrés, les stigmates se transmuent en fissures par lesquelles des jaillissements de vie peuvent être porteurs de grâce. Ceci fait écho à nos propres interrogations face au mal et sur la « signifiance des choses ». Quand larmes et sang viennent buriner la terre ... il ne reste plus que notre espérance !
Q. : Le mot de la fin ?
R. : Un grand merci à tous ceux qui m’encouragent à partager ce que j’appelle un « regard autre ».